Aux premiers abords, Rhys crut que la jeune demoiselle n’avait pas compris ce qu’il avait dit. Il oubliait tout le temps que Stacy ne venait pas d’un pays anglophone, de plus son accent était particulier par rapport aux américains. Fort heureusement, elle hocha la tête. Quel film voir maintenant ?

Avant de sélectionner quelque chose, il lui proposa du popcorn, mais Stacy lui demanda alors ce que c’était. Le mot devait être différent en Slovaquie.

– C’est euh…

Il se tut, tentant de lui expliquer avec les bons mots.

– Du maïs soufflé, je pense ? finit-il par dire, peu certain.

Une fois que l’ado récupéra sa peluche (qu’elle semblait apprécier), ils se dirigèrent dans la cuisine juste derrière le salon. Rhys attrapa un des sachets, prit une bonne poignée de maïs et le déposa dans un grand bol fait pour, avant de le mettre au micro-ondes. Il alluma la machine et attendit quelques secondes…

… avant de sursauter brusquement au bruit. Le premier popcorn venait d’éclater et ça lui faisait toujours autant peur.

– J’ai oublié de dire que ça va péter là-dedans. Bouche-toi les oreilles si ce le bruit est trop fort.

Il dût parler un peu plus fort à la dernière phrase car de nombreuses petites explosions s’ensuivirent, les éclats emplissant la pièce. Les murs étaient fins, ici. A coup sûr que ses fichus voisins allaient accourir pour se plaindre. Ils le détestaient pour une mystérieuse raison.

Le micro-onde fit une petite tonalité, annonçant que les popcorns étaient prêts. Rhys attrapa le bol, puis le montra à l’ado à côté de lui.

– Voilà. Tu as déjà goûté ça ? On en mange au cinéma.

Il déposa le plat sur la table basse, puis attrapa la télé commande pour réfléchir. Que regarder maintenant ? Il aimait bien les films d’horreurs, mais ce n’était pas quelque chose à voir pour une fille qui venait de vivre des choses terribles. De la romance ? Il risquait de s’endormir… de l’action ? Si ce n’était pas trop brutal pour Stacy. De l’aventure ! Alice aux pays des merveilles serait bien.

Il s’affala sur le canapé, puis proposa à Stacy de faire de même avant d’allumer la télévision. Il lança Netflix, puis chercha le film et le trouva.

– J’espère que tu vas aimer le film, fit Rhys.

Stacy ignorait ce qu'était le popcorn et l'explication de Rhys la laissa dans le flou. Qu'est-ce que c'était du maïs soufflé ? Elle ne savait pas dire si c'était la barrière de la langue qui l'empêchait de comprendre, ou si elle ignorait tout simplement ce que cela pouvait être.
Elle décida d'hocher néanmoins la tête pour ne pas le déranger. Elle allait voir d'une minute à l'autre ce qu'était le popcorn après tout. Mais avant ça, Stacy fila dans la pièce où elle allait dormir et pris sa peluche avec elle, avant d'aller dans la cuisine avec Rhys.

L'adolescente l'observa avec curiosité remplir un bol de petites graines. Il le mis ensuite dans le micro-onde.
Elle commença à s'approcher de ce dernier pour voir l'évolution des graines, avant de reculer aussi tôt lorsque le premier popcorn éclata, sursautant autant que Rhys.
Stacy hésita un instant à aller se cacher sous la table, mais elle était trop petite pour constituer une bonne cachette.
Bien que les paroles de Rhys la firent reconsidérer cette idée.

Plus curieuse qu"effrayée, elle finit cependant par s'approcher, son visage juste devant le micro-onde, pour observer les popcorn sauter à l'intérieur du bol. C'était joli à regarder, avec la lumière jaune du micro-onde. Ça faisait comme un spectacle miniature. Seul le bruit la dérangeait un peu, elle n'aimait pas trop le bruit. Les bruits de fracas, d'éclatement, de coups.. ça lui faisait peur.

Elle sursauta en entendant le micro-onde produire un son, et s'écarta pour laisser Rhys prendre le popcorn. Ça sentait bon en tout cas.
Stacy observa minutieusement le bol quand il lui demanda si elle en avait déjà mangé, puis secoua la tête. Elle n'était même pas sûre d'en avoir déjà vu. Elle avait déjà vu des cinéma par contre, de l'extérieur.
Rhys posa le bol sur la table basse, pris la télécommande et alla s'assoir sur le canapé.

L'adolescente revint s'assoir à son tour et piocha doucement dans le bol pour goûter le popcorn. Rhys semblait avoir trouvé le film qu'ils allaient regarder. Ça ressemblait aux quelques dessins animés qu'elle avait pu voir avant.
Elle avala le popcorn qu'elle avait pris. C'était très bon. Elle s'en repris donc aussitôt une poignée.
"Chest quoi comme film ?"

Plusieurs coups retentirent soudain contre la porte d'entrée, faisant sursauter Stacy qui manqua de lâcher le popcorn qu'elle avait dans les mains. Elle regarda la porte, anxieuse. Qui c'était ? Il n'avait pas l'air content.. Elle regarda ensuite Rhys, l'interrogeant du regard.
Est-ce qu'il savait qui c'était ?

Rhys jeta un coup d’œil amusé vers Stacy dont le visage était presque collé contre le micro-onde. Si le bruit lui avait fait peur, la curiosité prenait doucement le dessus. Quelques minutes plus tard, le « ding » de l’engin annonça que le plat était prêt. Il le montra à l’adolescente et lui demanda si elle en avait déjà goûté.

Surpris par la réponse négative, Rhys ne fit cependant pas plus de commentaires. La gastronomie en Slovaquie devait être différente d’ici, sûrement. Une fois dans le canapé, ils étaient prêts à regarder le film qu’il venait de choisir. La jeune fille avait l’air d’aimer le popcorn. Content, le loup prit aussi une poignée.

– C’est Alice au pays des merveilles. Ça parle d’une fille de ton âge qui découvre un autre monde et qui-

Soudain, plusieurs coups de poings s’abattirent sur la porte. S’ensuivit ensuite la sonnette de la porte qui retentit dans toute la pièce et les traits du gallois qui étaient auparavant doux étaient devenus durcis. C’était les voisins et son esprit comprit vite que c’était CES voisins-là.

– Je sais c’est qui, ne t’en fais pas, rassura Rhys en se levant très lentement.

En prenant tout son temps, il espérait qu’ils finiraient par arrêter d’harceler la porte. Mais non, ils continuèrent de tambouriner comme si leurs vies en dépendaient. Il ouvrit la porte avec un soupir et déposa son bras contre le châssis. Il avait vu juste, c’était bien les voisins qu’il redoutait le plus. En face se trouvait les Woods, la petite famille très américaine.

Emmitouflés dans leur peignoir et les cheveux ébouriffés, ils n’étaient visiblement pas contents.

– Cadell, vous en avez mis du temps, fit le père d’un ton agacé.
– Ouais.
– Écoutez, il est vingt heures et vous savez très bien qu’on entend tout dans cet immeuble. Si vous pouviez baisser juste d’un ton votre-
– J’entends tout chez vous aussi et pourtant je viens pas tout le temps vous faire chier.

La maman prit un air offusqué face à la vulgarité du gallois, mais ce dernier s’en fichait complètement.

– Vous n’avez pas de famille, vous ! scandalisa l’américain. Et puis-

Son regard s’attarda sur la silhouette derrière Rhys. Ce dernier tenta de cacher la jeune fille avec son corps, mais malheureusement la petite famille avait aperçu l’adolescente dans son salon. Ils se retournèrent, désormais suspicieux, vers le loup.

– C’est qui ?

Rhys lança un coup d’œil vers Stacy, un peu mal à l’aise de devoir expliquer. Puis, il fit de nouveau face au père en peignoir. Il préféra dire la vérité, comme avec Shuanli :

– C’est une fille que j’ai récupéré dans la rue. Elle était toute seule dans le froid.

Ils mirent un certain temps avant de répondre. Avant de répondre, Madame Woods murmura un « pauvre petite », puis jeta un regard noir vers Rhys.

– Et au lieu d’appeler les services sociaux, vous l’amenez chez… vous ? demanda la maman en jetant un regard dans le salon un peu bordélique.
– Elle était effrayée, répondit Rhys en essayant de tout son être de ne pas s’énerver. Et j’ai préféré en prendre soin moi-même.
– Vous-même… l’homme incapable d’être civilisé avec ses voisins… ricana Monsieur Woods.

S’il n’était pas civilisé, il aurait foutu un coup de poing dans sa sale tronche depuis des lustres. Mais il ne l’avait pas fait, car il respectait un minimum les gens autour de lui. Rhys, complètement exaspéré par le comportement de ses voisins, était tenté de fermer la porte à leur nez.

Stacy avait goûté le popcorn avec appréhension au début, mais après s'être rendue compte que c'était bon, elle n'hésita plus à se servir, tout en questionnant Rhys sur le film, la bouche pleine.
Il avait à peine commencé à lui expliquer, que de grands coups furent donné contre la porte, suivi de la sonnette.

L'adolescente avait sursauté face à ce bruit, et avait manqué de peu de renverser le popcorn dans ses mains.
Elle regarda la porte, anxieuse. Qui toquait comme ça ? Ça avait l'air d'être des personnes énervées.. Elle jeta un coup d'oeil à Rhys, se demandant si il savait de qui il s'agissait. Ce dernier lui confirma qu'il connaissait ceux qui frappaient à la porte, puis il se leva pour aller leur ouvrir.

Pelotennée contre le canapé, Stacy suivit la scène des yeux. L'homme et la femme semblaient être colère contre Rhys. Leur regard se tourna soudainement vers elle, et la brunette se dissimula lentement derrière le canapé, tandis que Rhys essayait de leur bloquer la vue.
Mais ils la virent quand même, et étaient à présents méfiants vis-à-vis de Rhys. Est-ce que c'était un problème qu'elle soit là.. ?

Elle sentit son sang se glacer quand la dame parla d'appeler les services sociaux. Elle avala les popcorn qui lui restait, faisant de petits "crounch crounch" durant quelques secondes, puis elle sortit doucement du canapé pour venir se cacher derrière Rhys.

"P-Pas les.. services sociaux.. i-ils vont.. m-me ramener chez papa..."

Ses mains aggripèrent plus fermement le t-shirt de Rhys et sa peluche, serrée contre sa poitrine.
"I-Il va encore m-me frapper..!"

Ses yeux s'emplirent de larmes et elle se mordit la lèvre en baissant la tête. Elle ne voulait pas retourner chez elle..

Rhys était sur le point de dire aux Woods de se barrer d’ici, quand soudain la petite voix – qui semblait effrayée en plus de ça – de Stacy lui parvint aux oreilles. Le loup, ainsi que le couple, se retournèrent vers elle avant de l’écouter. Instinctivement, ses poings se serrèrent à l’entente de son père. Ce dernier devait être un monstre. Les mains de la jeune fille s’accrochèrent au t-shirt de Rhys et de la peluche qu’il lui avait offert plus tôt.

« Il va encore me frapper » Rhys fit les gros yeux, mais il n’était pas le seul. Madame Woods eut le souffle coupé, puis plaça une main contre sa bouche, visiblement très choquée par ce qu’elle entendait. Son mari semblait mal à l’aise, comme s’il regrettait d’avoir poussé le bouchon trop loin.

– C’est pour ça qu’elle doit rester ici, conclut Rhys, tentant de contrôler la colère qui se formait.

S’il attrapait son putain de géniteur… oh il allait passer un sale quart d’heure, il se fit la promesse.

– Je sais que je suis pas un homme exemplaire, mais je fais de mon mieux pour qu’elle soit à l’aise ici.

La famille Woods ne répondit pas tout de suite. Le père de famille soupira, puis glissa une main dans celle de sa femme. Cette dernière lui jetait des regards affligés.

– Très bien. On vous laisse tranquille.

Avant de partir, il ajouta :

– Bonne nuit, Cadell. Baissez quand même le volume de cette fichue télé.

Une fois la porte fermée, Rhys se retourna vers l’ado pour la regarder avec inquiétude. Il ne savait pas comment réagir face aux pleurs des gens et encore moins réconforter. Il lui fit un petit sourire.

– Tu veux continuer le film ? Tu avais l’air d’aimer le popcorn.

Tout le monde se tourna vers elle lorsqu'elle pris la parole, mais Stacy continua de parler malgré tout. Elle gardait les yeux baissés, elle n'aimait pas être au centre de l'attention.. Mais elle aimait encore moins l'idée de devoir rentrer chez elle. Chez son père.

Elle essayait de contrôler les tremblements dans sa voix, sans succès et s'agrippa à sa peluche et au t-shirt de Rhys. Ses yeux s'emplirent de larmes et elle les essuya du revers de la manche, se retenant d'éclater en sanglots. L'adolescente avait usé de toute sa force pour dire ça, elle ne pouvait rien dire d'autres sous peine de ne pas pouvoir retenir ses larmes cette fois.
Pourquoi ils voulaient toujours tous l'emmener aux services sociaux.. ?

Rhys expliqua au couple qu'elle devait rester ici et elle acquiesça doucement de la tête, en espérant qu'ils ne parleraient plus des services sociaux. Ils finirent par partir à son grand soulagement. Ryhs lui proposa alors de retourner voir le film, ajoutant qu'elle avait l'air d'aimer le popcorn. Stacy hocha la tête.
« O-Oui, beaucoup ! »

Elle partit s’installer de nouveau dans le canapé et recommença à piocher dans le bol, en attendant que Rhys remette le film en marche. Elle hésita un peu puis finit par se lancer.
« Pourquoi tout le m-monde.. veut appeler les services sociaux ? »

Pourquoi ils voulaient tous l'abandonner... ?

Le couple repartit dans leur appartement et Rhys se retourna vers Stacy, les deux un peu plus rassurés à présent. S’ils avaient appelé les services sociaux, ces derniers n’auraient même pas réfléchi. Et d’un côté ils avaient raison : son bâtiment se situait dans le Bronx et il n’était pas apte à gérer un enfant. Il frappait des mecs pour du fric, rappelons-le. Mais voilà, il se voyait mal laisser partir un gosse chez un père qui la battait.

Il lui proposa de retourner sur le canapé pour continuer le film et lui fit remarquer qu’elle aimait bien le popcorn. Stacy acquiesça et il lui fit un autre de ses rares sourires, avant de s’affaler sur le sofa. Alors qu’il mit play, la voix de la jeune fille lui fit tourner la tête.

– Je pense… que les gens ne savent pas comment réagir, commença-t-il. Ils se disent que tu es une ado qui fugue. Et je pensais pareil.

Il se tut, puis avala sa bouchée.

– Mais ce n’est pas le cas, conclut-il. Je ne veux pas qu’on te remette chez ton conn- euh… abruti de père.

Voilà qu’il se mettait à faire attention à ce qu’il disait. Il ne la connaissait que depuis quelques heures et pourtant, il se surprit à vouloir être plus… correct à côté d’elle. C’était une adolescente après tout, ces derniers étaient influençables.

Rhys avait pris soin de baisser le son de la télé et parlait moins fort à présent. Si ses voisins revenaient toquer, il allait être moins gentil. Mais c’était peu probable qu’ils reviennent dans la soirée.

– Je sais qu’on a dû mettre le film sur pause tout à l’heure, mais tu l’aimes bien ? Tu n’as pas trop de mal pour comprendre ? Je peux mettre des sous-titres si tu veux.

Il en profitait pour changer de sujet, la jeune fille ne voulait probablement pas repenser à son géniteur et à son passé, quel qu’il soit. Il ne savait presque rien sur elle, mais il ne voulait pas la plonger dans une ambiance sombre.

Pourquoi les gens voulaient toujours appeler les services sociaux.. ? Ils ne comprenaient pas qu'elle ne voulait pas retourner chez elle.. ?
Elle voulait juste.. une famille. C'était trop demandé..?
Stacy se mordit la lèvre inférieur tandis que Rhys lui expliquait que les gens ne savaient pas comment réagir. Pourquoi ils ne réagissaient pas alors ? Au lieu de mal réagir.. elle n'aimait pas cette réaction.
"Crise d'ado ?"

Elle pencha la tête sur le côté. Elle avait beau chercher, elle ne trouvait pas la signification de ces mots.
Rhys ne voulait pas qu'elle soit remise chez son père lui non plus. Elle acquiesça avec force, pas question qu'elle remette les pieds chez elle, plus jamais !
Ses petits poings étaient serrés sur ses genoux, comme pour se donner du courage.
"J-Je veux pas.. n-non plus.."

Rhys détourna son attention sur le film, lui proposant de mettre des sous-titres pour l'aider à comprendre. Ça pourrait peut-être l'aider.. Stacy ne savait pas si il était plus facile de lire l'anglais ou de l'entendre, mais elle ne perdait rien à avoir les sous-titres.
"Je veux b-bien les.. sous-titres. A-Alice a l'air drôle.. je l'aime bien, je crois."

Elle avait l'air heureuse.. ça devait être bien d'avoir une grande soeur.

Tandis que Rhys plongeait sa main dans le bol pour en tirer une belle poignée de popcorn, il se tourna vers Stacy qui lui demanda ce qu’était qu’une crise d’adolescence. Il voulut se frapper le front pendant un instant, oubliant encore que la jeune fille était slovaque et non anglophone.

– C’est euh… quand un adolescent remet sa vie en question. Certains se rebellent contre leurs parents durant cette période.

C’était Lily la thérapeute, pas lui. Ses mots n’étaient pas précis et clairs. Si son amie était là, elle aurait sorti toute une définition parfaitement compréhensible. Rhys n’avait jamais été un sale gosse et il y avait une raison derrière cela : son époque. Et puis à la campagne ce genre de notions n’existaient pas vraiment.

Stacy était d’accord avec lui. Elle ne voulait pas retourner chez son père et c’était une décision qu’elle prit avec force. Cette vision le fit sourire, c’était mignon. Il est vrai que le sujet était sombre, mais la voir comme ça lui donnait envie de lui pincer la joue. A la place, il hocha la tête.

– Ne t’inquiète pas. Tout ira bien.

« Tout ira bien » … si un homme comme lui pouvait gérer un gosse entier. Mais étrangement, il avait très envie de l’aider. Il refusait obstinément qu’on l’envoie aux services sociaux. Rien de pire pour un enfant apeuré d’être entouré de gens en costards qui décidaient de la vie d’autrui…

Il lui proposa des sous-titres pour le film, qu’elle semblait apprécier. Elle accepta, puis commenta Alice. Il fut content d’entendre qu’elle appréciait le personnage et lui mit les sous-titres.

– Ravi que ça te plaise.

C’est ainsi qu’ils continuèrent de regarder le film, l’esprit libre de tous soucis…